Archiver et rendre accessible les minutes de la démocratie représentative est, en France, à la charge de collectifs citoyens. Alors que le Sénat Américain propose depuis l’année dernière les votes des représentants du peuple dans un format XML permettant tout type de traitement, le site de l’Assemblée Nationale fait, lui, machine arrière.
Ces derniers mois aurons vu apparaitre sur le site assemblee-nationale.fr une nouvelle fonctionnalité : celle de recevoir des alertes, et disparaitre une autre, celle qui permettait d’avoir pour chaque député le comptage de ses interventions, il devient difficile d’explorer le passé mais le présent immédiat devient plus facile d’accès…
On serait tenté de croire que le parlement se prête à la mode du temps réel, dernier mouvement de fond de l’internet, mais la raison la plus probable est la ferme volonté de ne pas offrir aux citoyens la capacité d’accéder au passé et de se contenter de l’immédiateté, un stratagème vieux comme le monde, bien connu des historiens, et utilisé depuis toujours par la communication politique, habituée à avoir à faire à des média sans mémoire. Avec internet, tout change.
Pour obtenir une vision de l’histoire récente des débats et des votes de l’assemblée nationale, le seul moyen jusqu’ici était de recourir au travail bénévole de citoyens s’étant fixé comme mission d’archiver les travaux des parlementaires.
Mémoire Politique, le wiki de la Quadrature du Net, ainsi que Deputesgodillots.info avaient tous deux cette ambition, mais voilà qu’un nouveau venu s’apprête à faire passer ces sites au rang de figure historique.
Nosdeputes.fr, fruit de la rencontre des équipes de Deputés Godillots et de Regards Citoyens, un collectif formé dans les forums de notre confrère Numérama, s’apprête a radicalement changer les règles du jeu démocratique parlementaire Français.
Pour ses fondateurs, le site se veut “la trousse à outils du bon fonctionnement de la démocratie représentative”, et en effet, cela s’annonce comme tel.
A la différence des initiatives précédentes, qui stockait ses informations de façon non structurée et non réutilisables (pour une machine) dans un wiki ou des pages html, Nosdeputes.fr utilise une base de données structurée, et lancera, d’ici la fin de l’année, une API particulièrement complète permettant à tout site tiers d’interagir avec lui, et notamment de réutiliser les données qui s’y trouvent pour proposer une analyse ou une visualisation particulière de l’activité parlementaire.
Ce n’est pas une raison pour ne rien faire soit même, le site proposera dès son lancement, l’accès à 300.000 interventions, 60.000 questions écrites, près de 40.000 amendements et 50.000 preuves de présence en commission et en hémicycle (la présence en comission était, jusqu’ici, une information à la limite du secret défense, comme le montre Patrick Ollier dans ce reportage).
Mieux encore, le site proposera se propres courbes d’analyse d’activité des députés, sans même attendre qu’une mashup se plonge dans la visualisation de telles données – ce qui n’empêchera pas, on l’espère, les talents de la visualisation de données de faire des merveilles par la suite avec moultes mashups.
Cerise sur le gâteau, Nosdeputes.fr proposera également une analyse lexicale réalisée sur les interventions des députés, permettant ainsi de visualiser instantanément les thématiques abordées par chacun d’entre eux lors de son travail législatif. En une page, vous aurez désormais accès à l’ensemble des sujets abordés par votre député, permettant de juger de la diversité des sujets qu’il aborde en séance, ou au contraire, de sa spécialisation et de son expertise sur une thématique donnée.
Pour une version 1.0, que Tangui code (sous Symfony) encore à l’heure où j’écris ces ligne, c’est plutôt impressionnant, mais encore une fois, le meilleur reste à venir sous la forme d’une API qu’il promet très complète, à sortir d’ici la fin de l’année.
Avec une telle masse de données (1Go de données brutes), les possibilités sont presque infinies, sans même parler des croisements qui pourraient être effectués avec d’autres sources de données. On peut ainsi facilement imaginer connecter des moteurs d’analyse sémantique tel OpenCalais, qui permettrait facilement d’identifier les personnalités, évènements, lieux ou sociétés évoquées par les députés afin de proposer de nouveaux modes de navigation entre leurs discours, les textes de loi, créer des graphes sémantiques mettant en lumière l’articulation d’un processus législatif, les jeux d’alliances autour d’une thématique, etc, etc.
Une fois ce type de technologies disponibles pour la langue française, des moteurs d’analyse de sentiment permettrait de visualiser les travaux parlementaire sous un angle tout a fait nouveau, et certainement plus révélateur que la traditionelle opposition et majorité, et avec l’arrivée massive des données liées, les possibilités d’interconnexion avec d’autres informations donnent le vertige.
Avec Nosdeputes.fr, la France entre de plein pied dans l’ère des données gouvernementales ouvertes, avec, certes, un peu de retard sur les Etats-Unis et l’Angleterre, qui eux, on su anticiper le mouvement afin de ne pas laisser aux seuls citoyens l’initiative de la transparence.
Peu de chance ceci dit que l’Assemblée Nationale suive l’exemple du Sénat Américain et se mette elle aussi à diffuser dans un format réutilisable par d’autre de telles données, le ton est donné, pour Henri Gainot, conseiller du président de la République, la transparence, c’est le totalitarisme. On imagine du coup facilement que Nosdéputés.fr sera sous peu qualifié de dictature.
Pas bien grave, au final, tant il sera difficile de censurer de telles informations sans remettre en cause l’un des fondement de toute démocratie (bien qu’il y ai déja eu deux tentatives avortées à ce jour).
2009 fut l’année où les “petites phrases”, devenues depuis trop longtemps un mode de communication politique, ont complètement échappé aux communicants pour devenir le terrain de YouTube, de la presse d’avant garde et des blogs avant d’être adoubée comme technique journalistique par la presse écrite traditionnelle, et s’imposer comme une évolution du journalisme, l’année 2010, elle, sera l’occasion de voir fleurir en France ces initiatives qui font régulièrement la Une aux USA depuis que des sites comme Data.gov rendent accessibles et réutilisables les données gouvernementale.
Cela aura-t-il un impact sur la vie politique en France ?
En 2012, sans aucun doute.
(photo CC par kimdokhac)
14 septembre 2009 à 10:12
Un seul mot : bravo !
La vie politique et les concitoyens (et je m’inclue moi meme) ont un gros problème : le manque de mémoire. Ce genre de site + le data mining que le site lui meme permettra + l’api qui sera utilisée par d’autres sites va permettre une exploitation extraordinaire des données politiques. (peut etre l’apparition d’un métrique du « taux de promesses tenues » ? ;)
Quand on voit la tendance de certains de vouloir assimiler transparence de la vie politique à totalitarisme (venant de ceux qui installent des caméras à tous les coins de rue sous le refrain de « quand on a rien à se reprocher on a pas peur d’etre filmé »….), il va falloir se préparer à défendre d’arrache pied un tel projet.
Juste une question par curiosité : comment s’est fait l’extraction de données ? Automatisée / manuelle ?
Le code source du site est il open source ? est-ce dans l’idée que de l’ouvrir et de constituer une communauté de devs autour afin de l’enrichir (j’imagine qu’il y a bcp de travail la derrière) ?
Bonne chance en tout cas, je suis deja « regards citoyens » sur twitter et suis cela avec beaucoup d’attention.
14 septembre 2009 à 10:13
Bonnes questions… Je transmet à l’équipe de Nosdéputes.fr ;-)
14 septembre 2009 à 10:55
Excellente nouvelle ! Mais c’est pas gagné: « la transparence, c’est le totalitarisme. », ça me rappelle une petite phrase d’Ivan Levaï (France Inter) : « L’Observatoire des médias, c’est le truc de Le Pen ». Voilà qui indique clairement, me semble-t-il, d’où viendront les difficultés.
14 septembre 2009 à 10:59
Merci d avoir signaler cela
J attends un service similaire pour le Parlement européen
je ne comprends pas
je ne parviens pas a acceder au site nosdeputes.fr
14 septembre 2009 à 11:01
@Jacques : Exact je n’y accède pas non plus. la première attaque DoS d’une longue série ?
14 septembre 2009 à 11:21
@y!onel > point de DdoS mais plutôt une maintenance. « Nous venons de lancer un processus de compilation et d’intégration des données. Il dure environ 10 heures. Le site sera donc de nouveau disponible en milieu de journée. Merci pour votre compréhension »… Une attaque en règle du site aurait été une mauvaise surprise après l’affaire Odebi.
14 septembre 2009 à 13:23
Bonjour à tous.
Non pas encore de DOS en vue, juste un problème de rêglage du serveur au début empéchant de tenir la charge. C’est désormais rêglé et opérationnel.
Pour répondre aux questions de y!onel, je recommande la lecture de notre page FAQ qui contient la réponse à toutes ces questoons et plus encore! ;)
http://www.nosdeputes.fr/faq
A bientôt dans les commentaires!
Roux pour RegardsCitoyens.org
14 septembre 2009 à 13:36
« »Juste une ques tion par curiosité : comment s’est fait l’extraction de données ? Automatisée / manuelle ?
Le code source du site est il open source ? est-ce dans l’idée que de l’ouvrir et de constituer une communauté de devs autour afin de l’enrichir (j’imagine qu’il y a bcp de travail la derrière) ? »
Il faudrait une confirmation de tanguy, mais à ma connaissance il s’agit d’une extraction automatique (au moins en majorité), le code (au moins celui du site) à vocation à être publié (sous licence copyleft, a priori).
14 septembre 2009 à 14:14
Voila une tres bonne nouvelle… vivement que le site soit de nouveau en ligne que je regarde cela de plus prêt.
14 septembre 2009 à 15:19
Ca commence…
L’activité de Jack Lang comme parlementaire :

14 septembre 2009 à 15:20
@foobar et les autres
Le serveur de nosdeputes.fr a du mal a encaisser le succès, ils sont sur le pont, mais ils reviendront répondre à vos questions, soyez en sûr :-)
14 septembre 2009 à 15:53
Espérons surtout que les citoyens tempéreront cette transparence par un « droit légitime à l’oubli », ou du moins, comprendre qu’un élu a le droit, lui aussi, de changer d’opinion, de se tromper, de faire des erreurs etc.
14 septembre 2009 à 16:59
Patrice Bloche
14 septembre 2009 à 18:19
Ce n’est pas beau de faire de la délation, mais il semble que le grand gagnant du jeu de cache-cache soit http://www.nosdeputes.fr/franck-marlin.
14 septembre 2009 à 18:34
Ca se trouve, il est mort et personne ne s’en est aperçu ;-)
14 septembre 2009 à 18:36
@liocttnavud
Droit à l’oubli pour l’action d’un politique ? Certainement pas, ce serait contraire non seulement à la démocratie, mais tu aurais une levée de bouclier de tous les historiens.
Pour les citoyens, ou pour la partie vie privée des politiques, bien sûr, mais là, ce site ne s’occupe que de leur vie publique parlementaire, je ne vois pas pourquoi il y aurait un droit à l’oubli.
Tu peux développer ? J’ai raté quelque chose ?
14 septembre 2009 à 19:44
@liocttnavud: sauf là il s’agit du travail et des actions des parlementaires. Parler de droit à l’oubli concernant un député pour une loi X qu’il a voté, défendue, pour des domaines d’interêts, c’est un peu fort de café.
J’apprécie beaucoup le nuage lexical du site. Vivement que l’API et tout ce qui permet de le faire tourner soit diffusé. En effet j’aimerais bien que la même chose se fasse non seulement pour le parlement européen, mais aussi pour le Sénat et les conseils régionaux, généraux, … Nos députés cumulent souvent plusieurs mandats. Connaître la part respective de leur travail, leurs domaines de compétences, etc. serait un formidable plus.
14 septembre 2009 à 19:57
Des statistiques, nous voulons des statistiques, rien que des statistiques avec un petit peu de couleurs, des camemberts bien faits, des jolis gâteaux en trois dimensions
14 septembre 2009 à 22:18
Merci Fabrice de l’info et bravo aux créateurs de nosdeputes.fr. Le site est très facile à utiliser. Par exmple, un petit clic sur le mot clé Hadopi déjà nous en apprend beaucoup sur qui a fait quoi… Un outil redoutable pour plus de transparence !
17 septembre 2009 à 10:50
http://www.nosdeputes.fr/bernard-brochand
et
http://www.nosdeputes.fr/francois-xavier-villain
Les morts votent, ils sont élus aussi parfois apparement ….
20 septembre 2009 à 11:19
Très bonne initiative.
Elle a en particulier le mérite de lancer le débat sur le rôle des partis politiques.
La difficulté c’est que ceux-ci ont un rôle nécessaire de simplification des problématiques afin de proposer des alternatives claires au choix aux citoyens.
Un parlement qui proposerait 500 avis différents n’aurait pas grand intérêt.
Il est donc logique qu’à un certain moment il suffise de quelques députés pour représenter les autres. La question délicate porte sur la formation de la position des partis, et dans quelle mesure elle doit se faire à l’assemblée de façon publique.
En conséquence, on voit sur le site qu’en pratique l’activité des députés consiste davantage à défendre leur circonscription qu’à légiférer
27 septembre 2009 à 15:47
@Fabrice Epelboin, @Vincent: pas « droit à l’oubli » j’entends une tolérance des citoyens envers les politiques: tout homme peut avoir fait des erreurs, s’être trompé sur l’interprétation d’une loi. Eviter aussi de faire des raccourcis trop rapide, ou de sortir les éléments de leuu contexte. On ne peut pas par exemple considérer le récent vote sur la modernisation du droit (je ne me souviens plus du titre exact – vous rectifierez après avoir lu la fin de la phrase ;-) comme étant un vote pour ou contre les organisations sectaires.
Je n’entend pas du tout ce « droit à l’oubli » comme une loi, un règlement ou un droit technique à l’effacement. Simplement une tolérance des gens. Le temps passe. Les gens ne doivent pas oublier ce temps qui passe, même si la technique le raccourcit.
15 octobre 2009 à 23:36
Ainsi donc ce seront les réglages préétablis des logiciels des ordinateurs qui nous feront office d’esprit critique, c’est férocement calibré tout ça.
16 octobre 2009 à 9:00
C’est une bonne remarque. Aucun algo ne remplacera l’esprit critique, et aucune donnée brute ou même calculé ne remplacera le commentaire censé l’éclairé, c’est là tout le danger de cette hypertransparence à venir.
Le vrai problème, c’est qu’on a habitué les gens à réagir de façon assez peu critique face aux chiffres, les sondages en sont une merveilleuse illustration.
Il y a du travail devant nous, car qu’on le veuille ou non, cette hypertransparence démocratique va arriver, et rapidement.