La façon dont l’introduction de nouvelles technologies, ou plus précisément de nouveaux usages liés aux nouvelles technologies, est en train de creuser de façon radicale un gap culturel que l’on croyait étroit ne cessera jamais de nous étonner, de part et d’autre de l’Atlantique, chez ReadWriteWeb.
C’est tout l’intérêt d’être en interaction permanente avec des cultures à la fois proches et distantes : Espagne, Brésil, Etats-Unis, Nouvelle Zélande et France : des quatre coins du monde, des cultures pourtant toutes issues des grandes civilisations Européennes, se heurtent à des différences radicales dans leur façon d’aborder l’avenir de leurs sociétés. Ces fractures qui apparaissent désormais au grand jour dessinent un avenir où l’écart qui les sépare sera infiniment plus grand que ce qui les réunit encore aujourd’hui.
Le parti Démocrate Américain, qu’il serait risqué d’apparenter avec un quelconque courant politique ici en France – disons qu’il n’est pas du coté de la majorité au pouvoir actuellement – vient de sortir un site web pour le moins étonnant, du moins quand on l’observe avec les yeux d’un citoyen issu du tiers monde des libertés numériques (de France, donc).
La capacité à crowdsourcer est le saint Graal de toute utilisation politique d’internet, c’est en partie cela qui est responsable de la victoire d’Obama aux dernières élections, et le parti Démocrate ne compte pas en rester là. Le dernier projet du parti démocrate pousse l’idée du crowdsourcing plus loin encore et demande à ses sympathisants de trouver des vidéos susceptibles de nuire à la réputation des législateurs et des candidats issus des rangs de leurs opposants, les Républicains.
Le «Accountability Project» est plutôt simple sur le papier, mais l’écart qu’il dessine entre la façon dont les politiques s’emparent d’internet, dans les pays anglo-saxons et les pays latins, fait froid dans le dos. Sur le tout nouveau site mis en ligne par les Démocrates, vous pouvez uploader et consulter des vidéos, et suivre les agendas des représentants du parti Républicain afin de ne manquer aucun de leurs déplacements. Il n’y a pas moyen de voter ou de commenter, c’est simplement une plateforme destinée à permettre aux vidéos de devenir virales.
Pour l’instant, les uploads concernent essentiellement des Républicains pris sur le vif en train de critiquer des démocrates, un exercice qui a fait le succès de show télévisés comme le Daily Show ou le Colbert Report, dont le succès s’est affirmé de façon concomitante à la période d’autocensure pratiquée par la presse américaine à la suite du 11 septembre, et qui lui a fait perdre, aux yeux de nombreux américains, toute sa crédibilité. En censurant massivement une partie de la réalité, les américains ont appris a aller chercher la vérité ailleurs, de la même façon que, sur un sujet moins grave il est vrai – les libertés numériques -, toute une génération en France a tourné le dos à la presse quand elle l’a vu traiter de sujets qui lui semblaient fondamentaux par le mépris et l’auto censure.
Si l’on considère ce projet de crowdsourcing politique, par rapport aux multiples projets faisant appel aux mêmes mécanismes mis en place par les différents partis politiques, aux Etats-Unis ou ailleurs, c’est sans conteste celui qui a le potentiel le plus disruptif, en particulier pour les élections à mi-mandat qui arrivent aux Etats Unis.
Le crowdsourcing est aujourd’hui bien maitrisé par les politiques – aux Etats Unis, bien sûr – surtout depuis que les candidats ont compris comment utiliser intelligemment les média sociaux. Mais cette année 2010 est la première aux US à connaitre une élection majeure depuis le succès retentissant et très «2.0» d’Obama en 2008.
Les vidéos en ligne, aux Etats Unis comme en France, ont déjà joué un rôle majeur, même si de l’autre coté de l’Atlantique, presque aucun politique n’a été suffisamment suicidaire pour entamer de multiples campagnes de calomnie à l’encontre du média, alors qu’en France, certains n’hésitent pas à disqualifier une source journalistique sous prétexte qu’elle n’est disponible qu’en ligne.
Roy Temple, un «spin doctor» travaillant pour le parti Démocrate, n’hésite pas lui à affirmer que «quand un parti ou un candidat fait appel aux opinions des activistes (comme c’est le cas avec Change.gov), il faut être relativement cynique pour penser que leur opinion sera prise en compte».
Le «Accountability Project», continue-t-il, «puise dans la croyance que les activistes ont que les politiciens du parti opposé disent une chose face à la presse et tout autre quand ils pensent que personne n’écoute. Tout le monde est en mesure d’imaginer un scénario où s’ils sont en mesure de saisir cet instant sous forme de vidéo, ils pourraient faire une véritable différence dans une élection.
Le projet demande aux activistes de tenir un rôle que presque tous peuvent apprécier à sa juste valeur, ce qui augmente d’autant plus leur motivation à s’y plier. Il leur offre une façon de s’impliquer qu’ils pensaient auparavant impossible : apporter une contribution significative à une campagne».
Le dernier point évoqué est sans doute la clé de voute du projet du parti Démocrate. Dans une rapport de recherche publié le mois dernier sur le crowdsourcing [pdf], un chercheur de la London School of Economics a écrit que «Les besoins, les aspirations, et les motivations d’une foule pour participer à une initiative doivent rester au centre des préoccupations [...] les concepteurs d’un projet de crowdsourcing doivent comprendre ce qui motive la foule est aligner leurs objectifs en fonction»
Cela semble évident, et pourtant, de nombreux projets de crowsourcing perdent totalement de vue ce simple fait, trop nombreux sont les concepteurs de tels projets qui semblent confondre ce qui intéresse les foules et ce qui les motive.
En d’autres terme, si vous voulez créer un projet de crowdsourcing et que la foule veut du sang (politique) sur les murs, donnez leur l’équivalent d’un fusil (ou d’un Karsher, si l’on reste en France).
Même s’il n’y a aucun doute sur le fait qu’en France, le parti Socialiste ne proposera jamais un tel projet, il n’y a pas de doute non plus sur le fait que les usages que reflètent ce nouveau site du parti Démocrate prendront place en France aussi bien qu’aux USA. En pratique, cet usage est déjà largement en place de part et d’autre de l’Atlantique, et l’idée de «nettoyer au Karcher» le mensonge en politique est sans doute plus courante ici qu’elle ne l’est à Washington. Reste à voir comment ces usages vont pouvoir prendre place en France, à l’heure ou un ministre de la République vient d’utiliser pour la dernière fois avec une once de crédibilité l’argument de l’internet poubelle et où plus aucun, après lui, ne pourra dégainer cet argument sans aussitôt apparaitre comme suspect aux yeux de tous.
Quoi qu’il en soit, au pays de Voltaire, l’élection de 2012 se passera sur internet, cela ne fait désormais plus le moindre doute, et il y aura du sang sur les murs, cela, non plus, ne fait pas le moindre doute.
08 juillet 2010 à 20:56
Étonnant. Il fallait bien que ça arrive, mais je n’ose même pas imaginer le bordel que créerait une telle initiative en France oO.
09 juillet 2010 à 8:05
Je ne pense pas qu’une telle initiative puisse exister en France? En période d’election, il est interdit (48h avant un vote) de diffuser des opinions politiques dans les medias, et l’on a vu que petit a petit le web francais se fait reguler par le CSA.
Si un parti politique Francais mettais en place une telle initiative, il serait obliger de fermer ce site en periode d’election…
J’attends avec impatience la campagne de 2012, un veritable jeu de massacre!!!
10 juillet 2010 à 6:32
« La liberté est une chimère. » Voltaire