Al Franken : « la neutralité du net est l’équivalent contemporain du droit à la liberté d’expression »

al-frankenAl Franken est un sénateur Démocrate du Minnesota. Il a été comédien, écrivain, humoriste et polémiste avant d’être un homme politique américain. Il est connu pour ses opinions progressistes le situant à la gauche (au sens américain) du Parti démocrate. Sa double casquette d’ancien créateur de contenu, très populaire aux Etats-Unis, et d’homme politique, lui donne un avis des plus intéressant sur les enjeux touchant aux contenus et à leur circulation sur internet. Aujourd’hui, il est l’un des plus ardents défenseurs de la neutralité du net.

Les arguments et les craintes avancées par Al Franken sont particulièrement intéressants, car le monde qu’il redoute, en réalité, est déjà plus ou moins une réalité chez nous, ce qui rend en France la défense de la neutralité du net d’autant plus critique à la préservation de la démocratie. Nous vous proposons un transcript d’un discours qu’il a prononcé la semaine dernière.

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Je pense que la neutralité du net est l’équivalent contemporain du droit à la liberté d’expression, à moins que ce ne soit la liberté de culte, mais je pensais encore il y a peu de temps que cet enjeux était réglé.

Aujourd’hui, on peut accéder à un blog aussi rapidement qu’au Wall Street Journal, et s’il est bon, il peut recevoir autant de trafic qu’un groupe de presse. Mais si de grosses entreprises peuvent payer pour un accès plus rapide et prioritaire à l’internet, le blog n’a plus aucune chance, et les grosses entreprises savent que quand elle paient pour l’accès, elle gagnent.

Elles veulent un traitement privilégié sur internet , à l’image du traitement privilégié qu’elle reçoivent ailleurs.

Le directeur des technologies de Bell South a comparé internet à un billet d’avion, il dit : «je peux acheter un billet en première, en seconde ou en charter» et il pense qu’il devrait être de même sur internet pour les contenus.

Moi, je ne pense pas que nous devrions faire payer un ticket de première aux petites entreprises pour leur permettre de fournir un service en ligne, et je ne pense pas qu’il faille faire payer un billet de première aux blogueurs pour permettre aux gens d’avoir accès à leurs idées.

Comme beaucoup d’entre vous en ont entendu parler, il y a quelques semaines, Google et Verizon ont annoncé avoir développé une base législative destinée à protéger la neutralité du net. Ils ont écrit ce cadre afin qu’il ne s’applique pas au mobile. L’internet serait alors neutre à la maison, mais pas sur un réseau sans fil ou sur votre téléphone.

Ce n’est pas un drame, qui aurait l’idée d’utiliser internet sur un téléphone ?

Google et Verizon ont également rédigé leur proposition de façon à permettre aux fournisseurs d’accès de commercialiser un internet à deux vitesses, y compris sur l’internet qui n’est pas mobile, ils ont laissé la porte grande ouverte pour ce qu’ils appellent des «services gérés», et veulent que le régulateur n’ai pas son mot à dire à ce sujet. Tout fournisseur d’accès pourrait décider d’ouvrir un voie express pour internet réservée à certains contenus et certaines applications, et si l’autorité de régulation y trouvaient quelque chose à dire, la seule marge de manœuvre accordée par Google et Verizon est de lui autoriser à publier un rapport.

Mais il existe un enjeu bien plus sérieux.

Si le gouvernement n’agit pas, les entreprise le feront. Et contrairement aux agences gouvernementales qui ont une responsabilité légale quant à la protection des consommateurs, la seule chose qui importe aux entreprises, la seule chose à laquelle elles sont légalement tenues, c’est leur bilan comptable. C’est leur raison d’être.

Nous ne pouvons laisser les entreprises écrire les règles qu’elles sont censées suivre.

Si nous laissons cela se faire, ces règles seront écrites uniquement pour protéger les entreprises. Mais protéger et faire de l’internet un espace ouvert ne concerne pas seulement la mise en place d’une législation assurant la neutralité du net, c’est aussi s’assurer que l’internet ne devienne pas la propriété d’une poignée d’entreprises.

C’est pourquoi je pense qu’empêcher la concentration des média est l’un des grands chapitres de la lutte pour un internet libre et ouvert, et c’est pourquoi je suis opposé à la fusion entre NBC, Comcast et Universal.

Parce que quand la même entreprise contrôle les contenus et les tuyaux qui nous amène les contenus, nous avons un problème.

Si cette fusion est autorisée, nous avons un problème.

Comcast est le plus gros fournisseurs d’accès à internet de la nation, et le plus gros acteur de la télévision par câble. Ces entreprises contrôlent 35 réseaux de télévision, et si elles sont en mesure de faire payer pour un accès prioritaire, elles se contenteront de prendre de l’argent dans une poche pour le mettre dans l’autre.

Vous, par contre, vous êtes certains de payer, tout comme les autres producteurs de contenus.

Mais le problème ne se limite pas au droit à la concurrence, il s’étend à la liberté d’expression. Comme l’a dit Hugo Black, la liberté de publier est garantie par la constitution, mais la liberté de se réunir pour empêcher d’autres de le faire ne l’est pas.

Le juge Black a dit que si la liberté d’expression fait barrage à une chose, c’est bien de s’opposer à ce genre de fusion. Si cette fusion a lieu, NBC et Comcast auront un pouvoir sans précédent pour empêcher d’autres de publier leurs contenus. Cela sera un marché pauvre, et un lieu où les idées se feront rare pour tout le monde. [...]

Laissez moi vous faire part d’une expérience personnelle, certains d’entre vous savent qu’avant d’être sénateur, j’étais dans une toute autre branche d’activité. J’ai entre autre travaillé pour NBC, et j’ai adoré cela. A la fin des années 80, NBC, ABC et CBS voulaient se débarrasser de contraintes réglementaires qui empêchaient les réseaux hertzien de distribution de posséder des programmes, de façon à empêcher le favoritisme.

Les réseaux hertzien avançaient le fait que la concurrence de la télévision par câble était trop forte, et que ces règles les pénalisaient. Ils ont témoigné du fait qu’il ne feraient jamais le moindre favoritisme, qu’ils n’étaient intéressés que par la qualité.

Une fois la législation assouplie, il est soudain devenu évident que leur intérêt était de programmer leurs propres contenus plutôt que ceux des producteurs de contenus.

Alors NBC a été acheté par Disney, car Disney avait besoin de faire passer ses programmes à l’antenne, et CBS a été acheté par Viacom, c’est à dire la Paramount, parce que cette dernière devait faire passer ses programmes à l’antenne, NBC a fusionné avec Universal, et Fox… enfin… Fox…

Il n’a fallu que deux ans à NBC pour remplir 62% de ses grilles de programme avec ses propres programmes. Je l’ai vu se produire sous mes yeux, les producteurs indépendants sont passé de 50% des programmes à 2% des contenus diffusés sur la télévision hertzienne.

Si Comcast est autorisé à fusionner avec NBC, il ne faudra pas longtemps avant que Verizon ou AT&T annoncent qu’il leur faudrait racheter Disney, ABC ou CBS-Viacom.

Et vous vous retrouverez avec une poignée d’entreprises contrôlant une vaste part des programmes et des services d’accès à internet, et elles auront leurs main sur toute l’information à laquelle nous aurons accès. C’est très dangereux. Toutes ces entreprises auront intérêt à ne pas trop se concurrencer, et cela aussi est extrêmement dangereux.

photo d’ouverture : Al Franken lors de sa campagne électoral CC-by de aflcio
photo sur la page d’accueil CC-by de
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7 commentaires pour cet article

  1. wilnock

    C’est tres joli comme discour, mais la situation est-elle en train d’evoluer au USA?
    En France une proposition de loie est pose – reste a savoir si elle ira plus loin que comm.ent – Les USA sont-ils egalements en train de se sensibilise au sujet?
    La net-neutrality passera-t-elle noel?

  2. Fabrice Epelboin

    Les USA sont 100 fois plus mobilisés qu’ici. La semaine derniere, la net neutrality representait 19% des liens apparu ds la blogosphere US, on peut pas en dire autant ici a 2 semaine du début des travaux parlementaires.

  3. Emma indoril

    Finalement, le libéralisme a très peu de différence avec le communisme… (Enfin…avec le bidule dictatorial vaguement communiste qui a sévi en URSS jusque il n’y a pas longtemps…)
    Les moyens pour y arriver sont différend, le résultat apparent est différent, mais le résultat final est le même !
    On aura 4000 chaines de télé différentes, mais comme elles appartiendront toute à la même entité, qui décidera de la direction éditoriale, on pourra se gratter pour avoir un autre son de cloche !

    Pour paraphraser Desproges : Le communisme est une bonne idée, mais ça marcherait mieux si c’était les capitalistes qui s’en chargeait !

  4. Fabrice Epelboin

    J’ai peur que tu t’égares. Les adversaires de la net neutralité ne sont pas du tout des libéraux, bien au contraire, ils veulent empêcher toute forme de concurrence propre au libéralisme pour assurer la domination des gros acteurs. C’est cette même force qui est en jeu en France.

    En l’occurrence, la quasi totalité de ceux qui défendent la neutralité du net aux US sont des libéraux (Franken et Lessig compris), qui luttent contre la mainmise des gros lobbys industriels sur l’Etat. C’est bien pour cela qu’ils s’opposent à une vision de l’économie où quelques gros comme AT&T, Verizon et Google (ou Orange et SFR en France) imposent leurs règles et écrasent toute initiative individuelle.

  5. hlfx

    Bon billet ! La situation que décrit Al Franken aux USA est déjà connue chez nous dans les médias (presse, radios, TV) et l’édition, où un nombre réduit de groupe contrôlent quasiment tout, sauf bien entendu le Service public… Et que projette de faire le pouvoir français ? Etendre cette concentration hallucinante à l’internet, au profit des groupes qui se partagent déjà les secteurs des médias et de l’édition… La boucle serait bouclée, au détriment du citoyen, une fois de plus.

    Un bémol toutefois, le lecteur de quotidiens a 55 ans de moyenne d’age, tout comme le téléspectateur des chaines historiques d’ailleurs (moins sur Canal, plus sur TF1).
    L’age moyen de l’internaute est bien plus bas, il y a de la rébellion dans l’air, il faut l’espérer !

  6. Tomy13

    @hlfx
    Tu crois que les jeunes sont plus rebelles ? On leur a bourré le mou avec le gentil casimir et toutes sorte de niaiseries similaires dans leur tendre enfance, ils sont conditionné a être des gentils. Ils vivent au pays radieux des enfants heureux, un vrai paradis.

  7. manu

    Le contenu publié sur internet n’est pas consommé de là même manière que celui qui passe à là télé. Ce ne sont pas les mêmes contenus, ce ne sont pas les mêmes moyens de diffusion. Internet n’est pas seulement un moyen de diffuser du contenu, c’est là aussi qu’il est produit. Remettre en cause cette neutralité, c’est empêcher le contenu d’être produit.
    Mais un site de contenu de merde, même si il appartient à un grand groupe, fera toujours de la merde et sera moins consulté que readwriteweb par exemple. Et si le contenu de merde est moins relayé sur d’autres, il sera moins bien indexé. Donc même si il jouit d’une bande passante plus large, ce n’est pas pour ça qu’il sera plus consulté.
    Internet ne fonctionne pas comme là télé ou le minitel et j’ai l’impression que l’intérêt de ceux qui en veulent à sa neutralité en veulent à son fonctionnement. Mais qu’ils fassent leur propre réseau dans ce cas. Qu’ils le fassent leur minitel géant, mais qu’ils ne touche pas aux infrastructures qui devraient être d’utilité publique. Je propose donc une pétition pour le classement d’utilité publique des infrastructures qui garantissent le routage des données dans là neutralité.

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  4. Al Franken : “la neutralité du net est l’équivalent contemporain du droit à la liberté d’expression” « Veille du Net.com :

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  5. Avec la carte SIM intégrée, Apple pourrait bien faire un faux-pas, ou alors toucher le jackpot | AbriCoCotier.fr :

    [...] logique d’intégration des contenus et des tuyaux, que redoutent tous les partisans de la neutralité du net, est déjà une réalité chez nous. SFR + Vivendi, ainsi que les mouvements en cours chez Orange, [...]

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